lundi 8 janvier 2018

Retour à Bois-Colombes (1)

Bois-Colombes est une des communes les plus sympas de la banlieue nord-ouest de Paris. Elle est relativement peu étendue. L'habitat pavillonnaire (maisons individuelles d'1 à 3 étages au max. avec jardin) y reste important malgré la proximité de Paris et du centre d'affaires de La Défense.

Ni moi, ni personne de ma famille n'avons habité Bois-Colombes et je n'y ai pas passé une seule nuit.

Mais nous avons habité à Colombes pendant de nombreuses années. Colombes est une commune voisine, dont Bois-Colombes a fait sécession en 1896. J'y ai fréquenté pendant un peu plus de deux ans les classes élémentaires du "Collège" Giband, où j'ai préparé mon entrée en Sixième. Je suis allé au caté à Notre-Dame de Bon-Secours à Bois-Colombes et j'y ai reçu le sacrement de confirmation des mains d'un futur évêque de Monaco (1).

Enfant,  c'est à Bois-Colombes que je situe des expériences qui m'ont durablement marqué. 

Voici deux anecdotes à partir desquelles on pourra prendre la mesure d'évolutions culturelles relatives aux relations entre enfants. Entre parents et enfants. Entre enfants et institution scolaire. Entre parents et institution scolaire. Au degré de protection affective ou juridique dont la famille, l'institution scolaire, ou la "société" en général, croyait, ou croit,  devoir entourer, ou non, l'enfant.


8 year-old schoolboy Jean-Marie




La tragédie familiale de la rue Claude Mivière : pas de cellule de soutien psychologique

Alors que je fréquentais les classes élémentaires de "Collège" Giband, un homme a jeté son épouse, mère de ses enfants, de la fenêtre de son appartement. Et le corps de la malheureuse s'est empalé sur les piquets d'acier de la clôture qui séparait l'étroit domaine privé de l'immeuble de la voie publique. Elle y a agonisé un temps indéterminé avant que son corps ne soit enlevé. Cela s'est passé rue Claude Mivière, pendant une nuit, à peu de distance du "Collège" (2). Le lendemain, les élèves en parlaient en cour de récréation, dès le matin. Je suis rentré à la maison le midi, et je ne crois pas en avoir parlé. Je craignais peut-être que l'affaire ne soit abordée, et qu'on ne guette mes réactions que je tenais à garder pour moi-même. Mais en fin d'après-midi, ma mère est venue me chercher à la sortie du "Collège", rue Charles Chefson. Elle et plusieurs autres parents avaient en mains des journaux, France-Soir ou Paris-Presse l'Intransigeant, qui relataient ce crime, à la Une. Pourquoi évoquer cette tragédie, ce traumatisme? Parce que personne, ni mes camarades, ni moi-même, n'a eu droit à ces cellules de soutien psychologique (3) qui sont, de nos jours, systématiquement dépêchées auprès de jeunes et de moins jeunes lorsque survient une catastrophe, une tragédie qui les touche de près. Peu après, seul, je me suis rendu sur les lieux et j'ai constaté avec horreur qu'un des piquets sur lequel le corps de la malheureuse mère s'était empalé était tordu. J'avais 10 ans. Et il a fallu les ravages et les excès du féminisme pour que les violences familiales infligées aux épouses et mères cessent de représenter pour moi une des pires facettes du malheur familial.


La raclée au gymnase : les parents adeptes du profil bas

Je devais avoir 8 ans, peut-être 9. J'aimais peu l'école. Je la manquais souvent. J'était mal socialisé : ce n'était de toute façon pas le but assigné à mon éducation, en famille comme à l'école. Je n'étais pas très robuste. J'avais peu de goût pour l'effort physique. Mon grand-père paternel, Alphonse Lallau, était un adepte de la Méthode Desbonnet dite Gymnastique des Organes, dont il me faisait effectuer des exercices lors de mes séjours dans notre province. Mais j'étais quasiment nul en Education Physique telle qu'on la pratiquait au "Collège" Giband. Un matin, le prof de gym avait décidé de nous faire monter à la corde : il s'agissait, s'aidant de ses poignets et de ses genoux, de faire l'escalade d'une grosse corde attachée par un crochet et un anneau au plafond de la salle du gymnase. J'en étais incapable. Quand mon tour est venu, j'ai tout juste pu me balancer, mes pieds sur le gros noeud de l'extrémité inférieure de la corde, sans avoir assez de force dans mes poignets pour m'accrocher. Hilarité quasi générale des autres garçons, certains plus jeunes que moi. Hilarité et chahut. Mes camarades mettent en cause mon identité (fillette, petite fille toujours avec sa manman). Le professeur ne fait rien pour arrêter le chahut et modérer mes camarades. Au contraire, il me prend violemment à partie verbalement, ce qui fait redoubler le chahut et les moqueries des autres enfants. Puis, il me dit de céder la place, ce que je fais volontiers. Mais les moqueries de mes camarades, que je rejoins, ne cessent pas. Le professeur demeure indifférent à ces moqueries. Exaspéré, je cible un des moqueurs parmi les moins costauds,  je lui porte un coup au bras, et je le secoue. Enfin, le professeur réagit : de colère, il m'assène des gifles qui me font saigner du nez et m'assourdissent un moment. Je méprise ces enfants et ce prof, mais je parviens à me retenir de pleurer. Difficilement, mais quand même. Je sauve la face. Je rentre au "Collège" (4), en rang, conduit par le professeur. Et j'assiste aux autres leçons de la demi-journée. Rentré à la maison, je raconte l'incident. Mes parents sont "catastrophés" : je me suis fait remarquer. Que va-t-on penser de moi ? Que va-t-on penser d'eux ? Mes parents décident, de honte, de venir moins souvent à l'école, de faire profil bas. Et de rechercher un médecin qui délivrera un certificat m'exemptant d'Education Physique dans le cadre scolaire. Pourquoi narrer ce quasi non événement ? Pour souligner le contraste entre les rapports entre parents d'élèves et institution scolaire hier et aujourd'hui. Plus tard, c'est avec surprise et consternation que j'ai vu des parents prendre fait et cause passionnément pour ceux de leurs enfants que moi-même ou mes collègues avions....contrariés. Où étais-je tombé ? Chez des Barbares ? En tout cas des gens qui n'avaient pas la même culture que mes parents.


N  O  T  E  S

(1) Monseigneur Jean Rupp, alors évêque auxiliaire de Versailles

(2) Ce n'est que depuis la loi du 11 juillet 1975, dite loi Haby, que l'appellation "collège" est réservée aux classes de la 6e à la 3e. Auparavant, on donnait les noms d'Ecole, de Collège, de Lycée, d'Institution à des établissements selon le choix de leurs fondateurs, l'origine de leur fondation. Il y avait des lycées qui avaient des classes de Onzième ou de Cours Préparatoire. Et des Collèges qui avaient des classes de Terminale

(3) Si j'avais été mis en présence d'une cellule de soutien psychologique, je ne suis pas sûr que j'aurais coopéré; il est possible que le souci de garder pour moi ma réaction la plus profonde l'aurait emporté, pour ne pas fournir de levier à des non intimes; il est alors à craindre que je sois passé pour indifférent

(4) Le Collège Giband n'avait pas de gymnase. Le gymnase appartient à la commune de Bois-Colombes qui le mettait à la disposition des élèves des classes élémentaires du Collège Giband. Ce "collège" était une institution privée non confessionnelle