dimanche 11 novembre 2012

Radio Stuttgart : "Pas de blocus, ni de siège" (05/11/1939)


Le texte ci-après, intitulé "Pas de blocus, ni de siège", est la version écrite de l'éditorial de l'émission en français de Radio Stuttgart diffusé le 5 novembre 1939.

Radio Stuttgart est un des émetteurs du Reich allemand, un Etat avec lequel la République française est, de fait , en guerre depuis deux mois; le but de l'éditorial est de contrer la propagande du Commissariat Général à l'Information du gouvernement français selon lequel le Reich allemand serait soumis à un blocus et assiégé.

Le public visé par l'émission est le public résidant en France. C'est un éditorial d'une station de radio d'un Etat en guerre, adressé à la population d'un pays avec lequel ce même Etat est en guerre. La diffusion sur les ondes de cet éditorial intervient pendant la période qualifiée de "drôle de guerre" entre septembre 1939 et mai 1940.

Pas de blocus, ni de siège

Français qui m'écoutez, savez-vous quel est, en ce moment si grave de nos vies (1), le sujet qui peut causer le plus d'étonnement à ceux qui ont toujours considéré que nous (2) étions un peuple profondément intelligent et capable, plus qu'aucun autre, de raisonner froidement et de peser les faits à leur juste valeur ?

Eh bien, c'est de voir avec quelle incroyable facilité, avec quelle apparente délectation dans l'absurde, vous admettez sans contrôle, sans discussion, des affirmations, toujours les mêmes, alors qu'elles sont, de toute évidence, contraires au plus élémentaire bon sens. C'est ainsi que vous allez répétant, sur la foi de la presse, que l'Allemagne est bloquée, et que la France et l'Angleterre n'ont qu'à poursuivre leur siège pour récolter la victoire.

Hélas pour la France (3), l'Allemagne n'est nullement assiégée !

Et d'abord, qu'est-ce qu'un siège ?

Un siège est un acte de guerre par suite duquel une ville, un fort, ou tout autre lieu, est entouré d'ennemis au point de ne plus communiquer avec les régions avoisinantes, et de ne pouvoir que très difficilement, ou pas du tout, recevoir de l'aide de l'extérieur. Un lieu assiégé ne peut vivre que sur ses ressources, jusqu'à ce que leur épuisement amène sa reddition.

Est-ce le cas de l'Allemagne ? D'aucune manière.

Faisons une comparaison qui nous aidera à comprendre exactement la situation : imaginons, pour un moment, qu'une armée quelconque soit parvenue jusqu'à Paris et ait attaqué la capitale entre la Porte de Champerret et la Porte Maillot, tout le reste du pourtour de Paris restant libre, toutes les autres portes permettant au trafic normal de s'effectuer.

Diriez-vous que Paris est bloqué ?

Diriez-vous que Paris est assiégé ?

Non, n'est-ce pas !

Vous diriez, à juste titre, que Paris est attaqué sur une faible portion de sa périphérie. Alors si, dans de telles conditions, vous n'admettriez pas qu'on parle d'un siège de Paris, pourquoi répétez-vous (4) sans cesse ce mot quand il s'agit de l'Allemagne ? Toutes proportions gardées, ce que je viens de dire de Paris s'applique à l'Allemagne. Nous (2) attaquons le Reich le long de notre commune frontière, sur un espace qui n'est pas proportionnellement plus grand que la distance qui sépare la Porte Maillot de la Porte de Champerret. Les 300 kilomètres sur lesquels s'étendent les lignes Maginot et Siegfried sont, à peu près, la onzième partie des frontières actuelles du Reich. Tout le reste de ses frontières est libre de toute attaque : bien mieux, il demeure ouvert à des ravitaillements qui ne feront que croître en importance.

Est-ce là un siège ?

Est-ce là un blocus ?

Non, évidemment.

Alors pourquoi se gargariser avec des mots qui n'ont pas de sens ou, tout au moins, qui ne s'appliquent pas à la situation ?

Parce que, en parlant de l'Allemagne, vous avez peur de la vérité, parce que la haine (5) que certaine presse (6) a distillée goutte à goutte a fini par obscurcir votre entendement et parce que le peuple le plus intelligent en est venu à penser qu'en dénigrant la situation de son adversaire il en viendrait plus facilement à bout !

Croyez-moi, les conditions d'existence du Reich ne sont pas du tout celles qu'on veut vous faire admettre. Oh, sans doute, tout est rationné, rien n'est laissé au désordre, le gaspillage est impossible, mais une vie suffisante est réservée à chaque citoyen, une vie qui ira en s'améliorant et qui peut sans inconvénient durer des années. Je vais vous donner à ce sujet quelques explications.

Vous devez bien vous rendre compte que les dirigeants du Reich, qui ont préparé l'Allemagne à toute éventualité, n'ont pas négligé la question primordiale des vivres alors qu'ils avaient encore à la mémoire les difficultés cruelles qui les avaient confrontés (7) à le fin de la dernière guerre. En fait, les provisions emmagasinées sont suffisantes pour beaucoup plus d'une année, et cette période est calculée en admettant, hypothèse absurde évidemment, que durant ce laps de temps, le Reich ne recevrait rien de son sol ou de l'étranger. Or, le ravitaillement de l'étranger, en dépit de la presse française et de ses contre-vérités, est déjà considérable et ne fera qu'augmenter. En dehors du commerce presque normal que l'Allemagne continuera à entretenir avec les Neutres, nous devons considérer les deux grandes sources d'approvisionnements que ses actes politiques lui ont ménagées : la Russie et les Balkans.

On vous a dit à maintes reprises que l'aide matérielle que la Russie pouvait fournir était de peu d'importance et je vous ai fait remarquer que, si vraiment elle était sans valeur, les bassesses de notre diplomatie (8) aux pieds de Moscou ne s'expliqueraient pas. En réalité, l'aide des Soviets (9) est de première importance pour un pays comme l'Allemagne, car ses techniciens sont capables d'intensifier énormément la production de ce réservoir inépuisable de ressources agricoles et minérales. Cela prendra quelque temps; moins que vous ne l'imaginez certainement.

En ce qui concerne les Balkans, des contrats issus de traités de commerce, garantissent au Reich toutes les livraisons en pétrole, céréales et autres produits dont il a besoin. L'influence anglo-française (10) qui s'efforce de détourner les peuples des Balkans de leurs obligations contractuelles envers l'Allemagne, doit tenir compte désormais de ce que les Russes sont à portée.

Les ressources du Reich sont destinées à croître dans une proportion considérable, en dépit des erreurs que l'on cherche à vous faire admettre, sur ce point comme sur beaucoup d'autres. Dans ces conditions, voulez-vous réfléchir un moment et vous demander ce que le blocus anglais peut bien faire contre l'Allemagne. Au lieu de recevoir certains produits par l'Océan Atlantique, elle les verra venir à elle par sa frontière de l'Est. Dites-moi, franchement, croyez-vous que le Reich soit assiégé ? Le seul siège qui existe en ce moment, c'est celui que les journaux français (6) essaient d'entreprendre autour de vos intelligences, dans l'espoir de vous faire admettre tous les bobards et toutes les bourdes et de vous acculer à renoncer à l'exercice sacré de votre jugement personnel (fin de l'éditorial du 5 novembre 1939 des émissions de Radio Stuttgart en langue française, intitulé "Pas de blocus, ni de siège".

N.B. : à aucun moment, dans le cours de cet éditorial, le nom de Hitler n'est mentionné, pas plus qu'il n'est fait une quelconque allusion aux Juifs ou à des projets du gouvernement du Reich allemand à leur égard.



N O T E S

  1. la gravité du moment : le pays d'où est diffusé cette émission (le Reich allemand) et le pays vers lequel elle est diffusée sont en état de guerre l'un avec l'autre; toutefois, les opérations sont limitées, c'est « la drôle de guerre » dont on peut encore espérer qu'elle ne débouchera pas sur une guerre d'envergure;
  2. l'éditorialiste français des émissions de Radio Stuttgart s'identifie à
    ses compatriotes : il dit « nous » en parlant d'eux et de lui-même, et il
    rappelle certaines qualités généralement attribuées aux Français;
  3. l'éditorialiste se place du point de vue de la fraction de l'opinion publique française convaincue par la propagande officielle du gouvernement de la 3e République, diffusée notamment par le Commissariat Général à l'Information animé par Jean Giraudoux (1882-1944) et la coopération d'exilés allemands opposants au national-socialisme, dont Alfred Döblin (1878-1957);
  4. c'est en fait la propagande officielle du Commissariat Général à l'Information qui répète cet argument à l'intention du public français; l'éditorialiste de Radio Stuttgart a pour objectif de contrer et d'anéantir cette propagande;
  5. la haine anti-allemande est indéniable, indépendamment de ce qu'on peut penser du régime national-socialiste; certains milieux français n'ont pas accepté l'unité allemande de 1871 qui a eu notamment pour conséquence d'enlever à la France toute possibilité de prépondérance géopolitique en Europe continentale (à moins d'un démembrement de l'Allemagne que la France ne parviendra jamais à imposer à ses Alliés); à cette rancoeur ancienne sont venus s'ajouter l'hostilité idéologique envers le national-socialisme de milieux dits de gauche, et l'hostilité de milieux que la politique du 3e Reich envers les Juifs (qui, en tant de paix ou de drôle de guerre n'a encore que des effets très limités) a fait basculer dans le camp des bellicistes, de ceux qui veulent en découdre avec la 3e Reich, soit parce qu'il est allemand, soit parce qu'il est national-socialiste, soit parce qu'il pratique une politique d'antisémitisme d'Etat, et souvent pour deux de ces raisons, ou les trois à la fois;
  6. « certaine presse », « les journaux français » : il s'agit de la presse contrôlée par le Commissariat Général à l'Information d'un pays en guerre; le contrôle de l'information est la règle dans tout pays en guerre; c'est pour cela que l'épidémie de grippe de 1918-1920 fut dite « espagnole » : l'Espagne n'étant pas en guerre, on y parlait ouvertement de l'épidémie, à la différence des pays qui étaient en guerre et dans lesquels ce genre d'information était censuré pour ne pas atteindre au moral des populations;
  7. il est ici fait référence à la grande misère en Allemagne au lendemain de la Guerre Mondiale de 1914-1918, conséquence du blocus de l'Allemagne, des troubles politiques consécutifs à la chute de l'Empire, aux réparations imposées par le traité de Versailles, à l'afflux de réfugiés et d'expulsés en provenance de territoires enlevés à l'Allemagne, à l'occupation franco-belge de la Ruhr de 1923, à l'hyper-inflation de la même année;
  8. l'éditorialiste fait allusion à la politique de la France envers l'Union Soviétique avant que celle-ci ne se lie avec le Reich allemand par un « pacte de non agression » en août 1939; il la qualifie de « bassesses » et a recours à l'argument : si vous attachiez tant de prix, avant août 1939, à l'entente avec Moscou, comment pouvez-vous maintenant affirmer que l'entente entre Moscou et Berlin est sans grand intérêt pour le Reich allemand ?;
  9. comme le Général de Gaulle, l'éditorialiste des émissions en français de Radio Stuttgart n'emploie pas les expressions URSS, Union Soviétique; il dit : la Russie, les Soviets comme … le Général de Gaulle; ce même éditorialiste semble curieusement envisager une aide allemande au développement de la Russie des Soviets; une telle éventualité était improbable : ni le Reich allemand ni l'Union Soviétique n'ont sincèrement adhéré au Pacte qu'ils ont signé pour des raisons d'opportunité à court terme : le Reich allemand apporte discrètement son aide aux Finlandais attaqués par l'Union Soviétique (pas assez discrètement pour que Moscou puisse l'ignorer) pendant la Guerre d'Hiver, tandis que l'ambassadrice soviétique à Stockholm, Alexandra Kollontaï ne cache pas que le gouvernement de son pays n'attend que l'occasion de « briser les reins » (sic) du fascisme allemand (cf. : Histoire de la Guerre Froide, d'André Fontaine);
  10. habilement, l'éditorialiste suggère à ses auditeurs, en parlant d'influence anglo-française (plutôt que de franco-anglaise) que la France est, dans cette affaire, entraînée par le Royaume-Uni.