dimanche 17 juin 2012

Un autre Dix-Sept Juin

Le 17 juin 1953, trois mois seulement après la mort de Staline, éclate à Berlin-Est, le premier soulèvement de masse dirigé contre le système mis en place en Europe centrale et orientale dans les pays placés sous le contrôle de l’Union Soviétique : trois ans avant les évènements de Pologne et de Hongrie (1956). Jusqu’à la réunification de l’Allemagne intervenue le 3 octobre 1990, le 17 juin sera commémoré en République Fédérale d’Allemagne sous le nom de Tag der Deutschen Einheit (Jour de l’Unité Allemande).



Les développements ci-après sont empruntés à l’ouvrage : "Le 17 juin 1953 : contexte et déroulement", par Myriam RENAUDOT doctorante ENS LSH (Lettres & Sciences Humaines), Ecole Normale Supérieure de Lyon.


LES FAITS

Le 16 juin 1953, les ouvriers du bâtiment de Berlin-Est arrêtaient de travailler sur le chantier de construction de la Stalinallee - l’avenue de Berlin-Est qui menait à l’est vers la Pologne et Moscou et occupait une position de choix pour devenir la vitrine de la RDA - pour protester contre les nouvelles normes imposées par le régime. En effet, une ordonnance prise le 28 mai 1953 par le conseil des ministres de Berlin-Est prévoyait une élévation des normes de production de 10 % avant la fin du mois de juin 1953, et ce sans majoration des salaires. D’autres ouvriers ainsi que des passants s’unissent aux manifestants, si bien que dix mille personnes se rassemblent en milieu de journée devant le siège du gouvernement de la RDA, exigeant de parler au chef du gouvernement (Ministerpräsident) Otto Grotewohl et au premier secrétaire du SED (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands), Walter Ulbricht. Cette manifestation s’achève le 16 par un appel à la grève générale, et l’on décide de se rassembler à nouveau le lendemain matin. Rapidement, la grève s’étend. Ces manifestations se transforment en soulèvement populaire dans toute la RDA. Aux exigences d’annulation de l’ordonnance prévoyant une élévation des normes viennent s’ajouter d’autres revendications : les manifestants réclament la démission du gouvernement et l’organisation d’élections libres.

Mais la répression ne tarde pas à reprendre le dessus, l’occupant soviétique déclare l’état d’urgence dans tout le territoire, les chars de l’Armée rouge dispersent les manifestants sous les sifflets et les jets de pavés. Il faut près de deux jours pour que les chars soviétiques et le ministère de la Sécurité d’Etat (Ministerium für Staatssicherheit) - la Stasi- reprennent le contrôle de la situation.


LES CAUSES PROFONDES : la "construction du socialisme"

Les historiens ont cherché à remonter aux causes plus profondes de ces événements et s’accordent à considérer le deuxième Congrès du SED de juillet 1952 comme le premier pas vers les soulèvements du 17 juin. Au cours de ce Congrès, le comité central du SED annonça le début de la "construction du socialisme" (Aufbau des Sozialismus) en RDA, en suivant le modèle soviétique. Cette "construction du socialisme" consistait surtout en une réorganisation socialiste de l’agriculture - avec une collectivisation des campagnes -, en une nationalisation de l’industrie et en l’introduction de l’économie planifiée. La hausse des normes de production imposée aux travailleurs industriels par l’ordonnance du 28 mai 1953 faisait aussi partie de ce programme.

Une politique de répression accompagna également la "construction du socialisme", les groupes religieux de jeunes ou les associations d’étudiants par exemple furent exposés à la persécution politique dès juillet 1952.

Parallèlement, le niveau de vie des habitants de RDA se dégradait, les besoins du peuple en biens de consommation n’étaient pas comblés, la situation économique de la RDA posait problème.

Suite aux incitations du gouvernement d’Union soviétique après la mort de Staline, la politique de "construction du socialisme" mise en place par le SED fut réexaminée et des erreurs officiellement reconnues, si bien qu’un communiqué proclamant le "nouveau cours" (Neuer Kurs) fut publié le 9 juin 1953 dans Neues Deutschland, le journal du parti. Ce "nouveau cours" fit des concessions en particulier aux paysans, aux Eglises, au capital privé, mais il laissa intact l’augmentation des normes. Les travailleurs devaient continuer à payer le prix fort et furent les seuls à ne pas bénéficier de la politique de détente, ce qui augmenta encore leur colère. Le mécontentement était déjà grand au sortir du Congrès du SED de 1952, et face aux mesures prises en défaveur des ouvriers notamment, les grèves commencèrent à éclater dans les industries dès la fin de l’année 1952, et se multiplièrent encore au mois de juin 1953. Le matin du 17 juin 1953, le retrait de la mesure d’augmentation des normes fut annoncé, mais il était trop tard, les ouvriers étaient déjà en route pour la grève générale.

Le 17 juin 1953 marque en quelque sorte le point culminant de l’incompréhension du peuple allemand de la zone soviétique d'occupation envers ses dirigeants.


LA REPRESSION

La répression fut sanglante ; dès le 18 juin eurent lieu les premières exécutions sommaires réclamées par les Soviétiques. L’ampleur de la répression peut aujourd’hui être plus exactement chiffrée : une centaine de personnes moururent pendant les soulèvements, une vingtaine furent condamnées à mort, treize mille à quinze mille personnes arrêtées dans les semaines suivantes, dont plus de deux mille furent condamnées à des peines allant jusqu’à 25 ans de prison par les tribunaux soviétiques ou est-allemands, peines purgées parfois dans les goulags de l’Union soviétique, sans parler de la fuite de certains habitants hors de la RDA. Ajoutons que ni la RFA, ni les autres puissances alliées (*) ne sont intervenues et venues en aide aux manifestants".
( fin de la citation de la publication de Myriam RENAUDOT : "Le 17 juin 1953, contexte et déroulement" sur le site "La clé des langues").

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Par la voix du chancelier Adenauer, le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne (Bonn) met en garde la population de la RDA (désignée comme la Zone Soviétique d’Occupation) contre de possibles provocations du régime de Berlin-Est.
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INSOUMISSION DANS L'ARMEE ROUGE : 42 "Justes"

Au sein des troupes soviétiques envoyées à Berlin pour réprimer le soulèvement populaire, quelques dizaines de soldats et d'officiers refusèrent d'ouvrir le feu sur les Allemands; il y en aurait eu au moins 42 selon des organisations allemandes des droits de l'homme; la conscience de ces soldats ne se soumit pas aux ordres. Ils passèrent devant un tribunal militaire soviétique et furent fusillés dans les geôles du NKVD construites à Berlin et à Potsdam. Tout se déroula dans le plus grand secret.

Sources :

Literatournaia Gazeta du 10 juin 1998, article "Quand la conscience ne se soumettait pas aux ordres", signé : Leonide Potchivalov;

Cahiers du Mouvement Ouvrier, n°5, mars 1999, article pp. 63 à 66 (non signé) : "Berlin-Est, 1953 : des soldats et officiers soviétiques refusent de tirer sur les ouvriers allemands), ISSN : 1287-25-98

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LE 17 JUIN 1953 VU DE FRANCE

En juin 1953, la France est sans gouvernement (entre celui de René Mayer qui a été renversé et celui de Joseph Laniel qui n'est pas encore formé). Le président de la République, Vincent Auriol, issu du parti socialiste S.F.I.O., est à quelques mois de la fin de son mandat de sept ans. Dans ses carnets et notes, publiés en 1970 sous le titre "Mon septennat" par quelques-uns de ses anciens collaborateurs, il n’est pas fait mention du 17 juin 1953 : on passe du 15 au 19 juin. Les notes des semaines et mois précédents expriment une absence de sympathie envers l’Allemagne, et plus qu’une profonde méfiance. Des sentiments de Vincent Auriol à l’égard de l’Allemagne et des Allemands, Jean Monnet écrira dans ses Mémoires (page 539) : "Comme pour beaucoup de ses contemporains, la méfiance à l’égard de l’Allemagne était la forme la plus sûre du patriotisme". Ces sentiments semblent avoir été partagés par une partie des milieux médiatiques si on en juge par un article du quotidien Le Monde à l’occasion de la finale de la Coupe du Monde de football 1954 qui s’est déroulée à Berne (Suisse) entre la Hongrie et l’Allemagne fédérale, et qui fut remportée par cette dernière : les réactions du journaliste du "quotidien de référence" devant l’enthousiasme et le nombre des supporters allemands sont très révélatrices. Les services français à Berlin (André François-Poncet) semblent avoir été surpris par les évènements en Allemagne orientale et considèrent, parmi les explications possibles, que les troubles pourraient avoir été orchestrés par le régime de Berlin-Est lui-même, ou être la conséquence des incertitudes politiques consécutives à la disparition de Staline au sein des équipes dirigeantes à Moscou et à Berlin-Est (5 mars 1953).

La France et ses alliés européens et nord-américains sont dans l’incertitude quant à un éventuel changement de politique de l’U.R.S.S. envers l’Allemagne : au 19e Congrès du Parti Communiste soviétique, en 1952, Staline a posé les conditions d’une réunification de l’Allemagne ; on prête à son compatriote géorgien Lavrenti Beria, qui fait partie de l’équipe des successeurs de Staline des intentions pouvant aller dans le sens d’une réunification et neutralisation de l’ensemble de l’Allemagne, ou au contraire le projet de faire de la RDA une des républiques socialistes soviétiques. Si tant est que Lavrenti Beria ait eu de tels projets, son sort est scellé peu après le soulèvement en Allemagne orientale : il est arrêté dans l’enceinte du Kremlin le 26 juin 1953, jugé, condamné et exécuté le 23 décembre pour avoir, selon ses accusateurs, fomenté d’obscurs complots et s’être livré à des activités d’espionnage. Responsable de la police politique NKVD de 1938 à 1953, détenteurs d’informations sensibles sur ses camarades, il était très redouté de ceux-ci. Son élimination peut être une conséquence indirecte du soulèvement en Allemagne orientale : ledit soulèvement est apparu à certains des successeurs de Staline comme la conséquence d’une politique de très relative libéralisation (à l’aune soviétique de l’époque) menée par Lavrenti Beria dans son propre intérêt, en vue de l’emporter sur eux pour la succession de Staline, le système collégial mis en place à la mort de celui-ci ne paraissant pas pouvoir être perennisé. Relevons qu’en mars 1954 "le printemps Malenkov", l’U.R.S.S. a proposé d’adhérer au traité de l’Atlantique Nord, proposition écartée quelques mois plus tard par les alliés atlantiques.

(*) N.B. et ERRATUM : en 1953, la RFA n’était pas une "puissance alliée" et ne disposait d’ailleurs pas d’armée ; elle ne sera admise au sein de l’O.T.A.N. qu’en en 1955, et ne disposera officiellement d’une armée et d’un Ministère de la Défense qu’ à partir du 1er janvier 1956.


BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE :

FRICKE, Karl Wilhelm, ENGELMANN, Roger, Der Tag X und die Staatssicherheit : 17. Juni 1953 - Reaktionen und Konsequenzen im DDR-Machtapparat, Bremen, Temmen, 2003;

FLEGEL, Silke, HOFFMANN, Frank, OVERHOFF, Evelyn (dir.), Der Volksaufstand am 17. Juni 1953 - ein gesamtdeutsches Ereignis ?, Bochum, IDF, 2004;

IHME-TUCHEL, Beate, Die DDR, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2002:

KOWALCZUK, Ilko-Sascha, 17.06.1953 : Volksaufstand in der DDR : Ursachen - Abläufe - Folgen, Bremen, Temmen, 2003.

CREDITS :

sites : Hérodote, La Clé des Champs ;

Vincent Auriol : Mon Septennat (1947-1954), Gallimard, collection Témoins/Gallimard, 1970 (notes de journal présentées par Pierre Nora et Jacques Ozouf), notamment pages 517, 520, 528, 533, 543, et 547 ;

Jean Monnet, Mémoires, Le Livre de Poche, 1976, notamment p. 539.

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